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Législatives en Italie : un enjeu de taille pour l’Union européenne


Les élections législatives italiennes du dimanche 4 mars 2018 auront une formidable portée européenne. Elles s’inscrivent en effet dans une série électorale particulière lancée par le Brexit du 23 juin 2016.

Stop ou encore ?

Depuis le référendum sur l’appartenance du Royaume uni à l’Union européenne, la plupart des élections générales en Europe se sont polarisées sur la question européenne : stop ou encore ?

Il y eut successivement la présidentielle autrichienne, les législatives hollandaises, la présidentielle française, les législatives allemandes, autrichiennes et tchèques. En décembre 2016, le troisième tour de la présidentielle autrichienne fut comme un référendum sur l’appartenance de l’Autriche à l’UE, le non étant incarné par le candidat du parti d’extrême droite, Norbert Hofer, et le oui par Alexander van Bellen, un écologiste finalement élu avec 54 % des voix.

En mars dernier, le Nexit aux Pays-Bas avait le visage de Geert Wilders, leader du PVV, le parti pour la liberté, un parti avant tout xénophobe et islamophobe. À force qu’il soit donné en tête dans les sondages, les électeurs néerlandais participèrent à plus de 80 % pour donner une large majorité de suffrages à des partis attachés à la construction européenne et faire passer le PVV sous la barre des 20 %.

En mai, le Frexit prit en France le visage de Marine Le Pen. Au second tour, face à Emmanuel Macron, candidat qui faisait de l’approfondissement de l’Union européenne la clé de voûte de son programme, la candidate du Front national, tout en mobilisant 10 millions et demi de suffrages – un record – ne dépassa pas un tiers des suffrages exprimés.

En septembre, en Allemagne aussi, l’euroscepticisme voire le souverainisme fit une percée significative mais limitée : avec 13 % des voix, le parti de droite extrême AfD a envoyé 94 députés au Bundestag, tout en restant isolé dans sa remise en cause de l’euro.

Lors des élections législatives autrichiennes d’octobre dernier, le parti de la liberté d’Autriche, ce FPÖ d’extrême droite de Norbert Hofer dirigé par Hans-Christian Strache, n’est arrivé cette fois qu’en troisième position, avec 25 % des voix. Toutefois, le leader du parti conservateur ÖVP arrivé en tête, Sebastian Kurz, a offert à son adversaire jusqu’alors favorable à une quasi sortie de l’Autriche de l’UE de gouverner ensemble dans le cadre d’une coalition pro-UE mais xénophobe et anti-migrants.

La droite extrême eurocritique, illibérale et xénophobe est aussi au pouvoir en Hongrie depuis 2010, avec Viktor Orban, et en Pologne depuis 2015 avec le Parti droit et justice. Ce pourrait être aussi le cas en République tchèque, où Andrez Babis, le premier ministre issu des législatives de décembre, est porté par un parti populiste ambigu sur l’UE, ANO.

Matteo Renzi, l’exception italienne

Depuis cinq ans, l’Italie détonnait dans ce paysage, avec sa majorité de centre gauche pro-européenne dont la figure de proue, Matteo Renzi, avait même obtenu un raz de marée aux élections européennes de 2014. Aujourd’hui, les sondages donnent battu son mouvement, le Parti démocrate.

Les Italiens donneront-ils la majorité de leurs suffrages aux trois partis anti-européens que sont, d’une part, le Mouvement 5 étoiles (fondé par Beppe Grillo), ce parti populiste inclassable et, d’autre part, les deux partis d’extrême droite, La Ligue et Frateli d’Italia, l’un et l’autre proche de notre Front national et alliés au Forza Italia du vieux Berlusconi ?

Manifestation anti-fasciste, le 24 février, à Palerme.
Alessandro Fucarini/AFP

Ce 4 mars 2018, si, contrairement à la France et aux Pays-Bas, mais comme la Pologne, l’Autriche et la Hongrie, les Italiens donnaient une majorité de leurs suffrages à des partis eurosceptiques voire souverainistes, ce serait une victoire de poids pour les partis qui rêvent de détourner l’Union européenne de son cours humaniste et de la faire bifurquer vers la xénophobie d’État, le nationalisme européen et la corrosion de l’État de droit.

Le sentiment d’avoir été « lâché » par l’UE

En effet, l’Italie n’est pas seulement un des six membres fondateurs de la construction européenne dans les années 1950. Elle en a aussi été l’un des plus ardents promoteurs jusque dans les années 2000. Durant ces six décennies, la société politique comme la société civile italiennes ont considéré la construction européenne comme une politique publique particulièrement efficace comme levier de réformes et de solutions aux difficultés spécifiques de leur pays.

Depuis la double crise ouverte à la fin de la décennie 2000, de l’euro et des dettes souveraines d’une part, et des flux migratoires d’autre part, un nombre croissant d’Italiens tendent à considérer l’Union européenne davantage comme un problème que comme une solution. Dans cette double crise, alors que l’Italie est l’un des États membres les plus exposés, ces électeurs ont le sentiment d’avoir été « lâchés » par les autres États membres. Ce ressenti n’est pas dénué de légitimité.

Ce retournement de l’opinion publique vis-à-vis de la construction européenne a été comme suspendu par le moment Renzi. L’actuel patron du Parti démocrate, ancien président du Conseil de 2014 à 2016, était parvenu à susciter brièvement une forte adhésion sur un programme couplant réformes structurelles domestiques et inflexion des politiques communautaires de l’UE.

Hélas, les autres États membres ni la Commission n’ont eu l’intelligence de permettre à Renzi d’incarner un retour de l’Italie en Europe, tandis que lui-même se prenait les pieds dans le tapis d’une réforme constitutionnelle et électorale rejetée par des Italiens devenus méfiants et par des partis soucieux de leurs rentes.

Le succès annoncé des partis antisystème

Aujourd’hui, c’est donc classiquement qu’une majorité d’Italiens s’apprêtent à voter pour l’alternance. Mais l’alternance en Italie prend maintenant le visage du rejet de la construction européenne. Le dépit et l’amertume diffus exprimés par les Italiens à son endroit pourrait bien favoriser la victoire, non pas tant de la droite, que celle des trois partis antisystème, xénophobes et eurosceptiques cités plus haut : le Mouvement 5 étoiles (M5S), ce parti populiste inclassable, et les deux partis d’extrême droite, La Ligue de Matteo Salvini et Frateli d’Italia.

Silvio Berlusconi, lors d’un meeting à Milan, le 25 février 2018.
Piero Cruciatti/AFP

Une alliance entre les trois n’est pas à l’ordre du jour. Ce qui se profile, c’est plutôt une coalition dite de centre-droit entre les deux partis d’extrême droite et Forza Italia de Berlusconi. Les scores respectifs de chacun des trois détermineront le ton de leur programme de gouvernement sur la construction européenne comme sur une potentielle xénophobie d’État. Ira-t-on vers un programme de coalition à l’autrichienne, ou pas ?

La question est d’autant plus indécise que la réponse dépendra du score du Mouvement 5 étoiles. Ce « parti » est celui qui est donné en tête. Mais il ferait moins à lui seul que l’alliance dite de centre-droit. Alors que son intransigeant fondateur s’est retiré, son jeune et nouveau leader, Luigi di Maio, n’exclut plus de former une coalition. Mais alors, avec qui, et pourquoi faire ?

Vers un « souverainisme mou »

Si Luigi di Maio et le M5S ne font plus d’un référendum sur la sortie de l’euro un pilier de leur programme de gouvernement, ils restent fidèles à leur méfiance envers la construction européenne. Elle fait partie de leur suspicion générale envers les élites et toute forme de pouvoir institutionnel, une méfiance qui contribue en Italie à attirer vers ce mouvement des électeurs venus d’horizons et de cultures politiques très variés, et qui se reconnaissent dans le « ni de droite ni de gauche ».

Si en France, avec En Marche, le « et de droite et de gauche » fédère des électeurs et des militants d’horizons variés et favorables à l’Europe, en Italie, le « ni de droite ni de gauche » du M5S est défavorable à la construction européenne.

Ainsi, alors qu’il est fort délicat de prévoir quelle coalition gouvernementale procédera des élections législatives italiennes du 4 mars, il paraît probable que celle-ci, quelle qu’elle soit, sera eurosceptique ou, à tout le moins, très eurocritique. Qu’elle mettra en œuvre, si ce n’est un « souverainisme dur », au minimum un « souverainisme mou » (selon la distinction commode proposée par Paul Taggart et Aleks Szczerbiak.

Ce passage annoncé de l’Italie de la moitié de terrain européiste à la moitié de terrain souverainiste serait une bifurcation lourde de sens et de conséquences, non seulement pour l’Italie contemporaine, mais pour les Européens dans leur ensemble.



Sylvain Kahn, Professeur agrégé, Sciences Po – USPC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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